Lesprit scout, un chemin de foi
La Croix 09 juillet 2010
Quils soient catholiques, protestants, musulmans, juifs ou bouddhistes, les scouts partagent une réelle soif de spiritualité et un socle commun de valeurs
Comment expliquer le succès constant du scoutisme en France, toutes confessions et tous mouvements confondus ? Sans doute parce quen ces temps dincertitude et de crise des valeurs, lécole de vie instituée il y a un peu plus de 100 ans par Robert Baden-Powell continue doffrir aux jeunes la possibilité de nouer des amitiés solides, de se construire en prenant des responsabilités et de devenir des adultes épanouis. Mais cela ne suffit pas à justifier un tel engouement.
Dans une société paradoxalement très sécularisée, la dimension spirituelle est souvent invoquée par les parents et les jeunes eux-mêmes pour expliquer leur attachement au scoutisme : « Le ?temps spi" est quelque chose que jattends toujours avec impatience », témoigne ainsi Pierre Bitaud, scout protestant de 18 ans.
Pour ce membre des Éclaireuses et éclaireurs unionistes de France, « faire du scoutisme sans spiritualité, cest comme faire du sport sans se fatiguer », autrement dit passer à côté de quelque chose dessentiel. À travers les moments de partage et les méditations bibliques, il sagit moins « de marteler la foi » – certains de ses amis sont peu pratiquants – que « dadhérer à des valeurs, de poser des références pour savoir où lon va ».
"Faire le lien entre la nature et son créateur"
Une conviction qui, dévidence, traverse les différentes familles scoutes avec la même acuité : « En camp, toute la journée est orientée vers la vie religieuse, explique Benjamin Boukris, 22 ans, éclaireur israélite de France. Office le matin, prière avant et après le repas... Cela nous permet de prendre un recul quon ne peut pas avoir chez soi, de faire le lien entre la nature et son créateur, bref de mieux vivre sa spiritualité. »
Chez les catholiques aussi, la foi reste un ingrédient indispensable, voire le cœur même de la proposition scoute. Chacun avec leur sensibilité, les trois principaux mouvements français cultivent des liens étroits avec lÉglise : prière quotidienne, présence daumôniers et messe dominicale lors des camps dété...
Sans tomber dans le syncrétisme, on peut donc affirmer que le scoutisme, par-delà ses déclinaisons confessionnelles, est une activité éminemment spirituelle. « Toutes les spiritualités partagent un même fond, mais chacune a sa propre façon de lexprimer », résume Lama Cheudroup, vice-président des Éclaireurs de la nature (EDLN), branche bouddhiste apparue sur larbre scout il y a deux ans. « Notre but nest pas de faire du catéchisme aux enfants, mais de leur permettre de sépanouir tout en respectant leur cheminement. En cela, la démarche du scoutisme, qui se fonde sur lexpérience, rejoint parfaitement celle du bouddhisme », remarque-t-il.
Baden-Powell
Dans le manuel fondateur du scoutisme (Scouting for boys, paru en 1908), Baden-Powell avait lui-même insisté sur la nécessité de développer le « sens de Dieu » chez les jeunes. Et pour Benjamin Bitane, membre de léquipe nationale des Éclaireuses et éclaireurs israélites de France, sil y a un « socle commun » à tous les mouvements, cest bien cet « esprit scout », ouvert à la transcendance. Le 15 mai, ce « pur produit » du mouvement juif, comme il se définit lui-même, a pu participer à la Journée de la fraternité organisée par les Scouts et Guides de France à Paris : « Ce type dinitiative prouve que nous portons des valeurs communes, au-delà des clivages politiques ou religieux. Nous partageons une même quête, quelle que soit notre façon de la vivre, nos spécificités », estime-t-il. Chez les juifs, cette recherche sexprime surtout dans « le partage de valeurs et la transmission dun patrimoine, sans pour autant se situer en marge de la société », précise-t-il, soucieux de promouvoir un esprit douverture.
Cest dailleurs une constante dans le scoutisme, comme le relève le P. Pierre Cabarat, aumônier national des Scouts unitaires de France : « Lesprit scout tourne toujours autour de la notion dengagement. Il y a peu de lieux où les jeunes peuvent exercer une responsabilité, si petite soit-elle. Nous encourageons les plus âgés à se mettre au service de leur prochain, que ce soit à leur porte ou à lautre bout du monde. » Selon lui, si le scoutisme se porte bien, cest sans doute aussi parce quil permet de « passer le cap de ladolescence, souvent délicat sur le plan de la foi. La pratique religieuse est proposée de façon très concrète, on ne sépare pas vie spirituelle et vie quotidienne, chaque situation est relue à la lumière de lévangile », appuie-t-il.
"Un art de vivre ensemble dans la fraternité"
Geoffroy Perrin-Willm, pasteur et membre de la commission Vie spirituelle des Éclaireurs unionistes de France, va même plus loin en affirmant qu« un mouvement qui ne prendrait pas en compte la spiritualité ne serait pas vraiment scout » : « Même les mouvements laïques sinscrivent dans une perspective humaniste, une quête de sens, remarque-t-il. Si lon considère que la spiritualité est lenveloppe de la foi, il y a certes des différences selon les religions. Mais on saperçoit aussi quon peut avoir des approches communes, comme cela se pratique par exemple au sein de la Fédération du scoutisme français » (1).
Du haut de ses 17 ans, Hajar Qotb, pionnière musulmane, confie ainsi avoir renforcé sa foi grâce au scoutisme. « Dès le premier camp, cela ma rapprochée de la religion !, assure-t-elle. Nos rencontres avec les autres mouvements nous permettent aussi de mieux connaître la diversité des religions. À partir de cette connaissance, nous apprenons à nous comprendre et à nous respecter les uns les autres. Bien sûr, nos rites sont différents. Mais nous vivons selon les mêmes principes scouts, applicables quelles que soient les confessions : un art de vivre ensemble dans la fraternité, la solidarité et le soutien mutuel. Le scoutisme augmente notre soif de lautre. »
François-Xavier MAIGRE, Romain THIRION et Charles LE BOURGEOIS
(1) Cette fédération regroupe les Éclaireuses Éclaireurs de France, les Éclaireuses éclaireurs israélites de France, les Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France, les Scouts et Guides de France et les Scouts musulmans de France.